samedi 15 mars 2014

Druidisme et néo-druidisme - Filiation historique et filiation spirituelle (1)



Le druidisme ancien

 Les druides étaient, dans l'ancienne société celtique, les détenteurs de l'autorité spirituelle. Dans le cadre de la trifonctionnalité décrite par Georges Dumézil, ils sont les équivalents des brahmanes de l'Inde. A ce titre, ils pratiquent et dirigent le culte, c'est-à-dire le sacrifice. Ils sont les intermédiaires entre les hommes et les dieux, dont ils interprètent la volonté. Ce sont eux, donc, qui disent le droit – à charge pour la deuxième fonction, guerrière, de le faire appliquer. Ainsi les druides sont prêtres, mais aussi juges. Ce sont eux qui constituent l'unité du monde celtique, par-delà les guerres entre peuples et clans. Ils font donc également fonction d'ambassadeurs, à l'image du druide Diviciacus, qui alla à Rome demander de l'aide contre les Séquanes en faveur des Éduens. Cette unité, ils la maintiennent aussi par la transmission de la culture nationale : ils sont conteurs et historiens, capables de réciter de longs poèmes et récits traditionnels, et la généalogie des rois, remontant aux anciens dieux. Mais le druide détient également le savoir en matière de médecine : médecine par les herbes, médecine sanglante, et médecine incantatoire – correspondant, là aussi, aux trois fonctions duméziliennes. Les textes irlandais montrent aussi des druides architectes, à l'instar du dieu-druide Dagda. Évidemment, ce sont eux aussi qui, en Irlande, connaissent l'écriture magique des ogams, inventée par le dieu Ogma. En tant que détenteur de l'autorité spirituelle, le druide est associé au roi, issu de la classe guerrière et qui, lui, détient le pouvoir temporel. A eux deux, ils forment la Souveraineté, clé de voûte de la société celtique et même, disons-le, de la pensée celtique.

On comprend pourquoi, avec la disparition, progressive ou soudaine selon les lieux, de la société traditionnelle celtique, la fonction druidique n'a pas pu se maintenir dans sa plénitude. En Italie du nord puis en Gaule et en Hispanie, l'avancée romaine s'est accompagnée, par la force ou non, d'une mutation des royaumes en cités à l'image de l'Urbs, où le pouvoir est exercé par la collégialité aristocratique calquée sur le Sénat romain. C'est le cas, justement, des Éduens alliés de Rome contre les Arvernes de Vercingétorix, représentant probablement la faction traditionaliste. Rome interdira les druides, sous Claude et Tibère, pour des raisons plus politiques que religieuses. La synthèse gallo-romaine conservera quelques éléments celtiques : les dieux locaux seront assimilés aux divinités romaines, les sanctuaires deviendront des fana (pl. de fanum). Quand arrivera le christianisme, on ne parlera déjà plus de Lug, Taranis ou Belisama, mais de Mercure, Jupiter et Minerve. Dans le petit peuple des campagnes, on continuera à se transmettre de vieux contes et des recettes de médecine, mais aucune classe druidique ne perdurera. Le christianisme, religion d’État, s'imposera à une religion déjà fortement romanisée. Ceci est valable pour la Gaule, mais également pour la (Grande-)Bretagne. Les envahisseurs anglo-saxons, aux IV° et V° siècles, repousseront des Bretons chrétiens – qui se considéraient d'ailleurs comme romains.

Pour toutes ces régions, la romanisation, puis la christianisation et les invasions germaniques, interdisent totalement d'imaginer la survivance, même clandestine, d'une classe druidique organisée, transmettant rites, mythes et savoirs.

En Irlande en revanche, pas de romanisation avant l'arrivée de saint Patrick, vers 450. La classe druidique, déjà sans doute affaiblie et divisée, se convertit rapidement à la nouvelle religion, et en constitue même les cadres, à qui elle transmet son mode de fonctionnement – abbés-évêques proches du pouvoir royal, par exemple. Mais, fait important, Patrick et ses successeurs autorisent une branche de la classe druidique, les filid (pl. de file), à poursuivre ses activités, à savoir la transmission de la tradition « nationale », les mythes d'origine, le droit traditionnel et le patrimoine poétique et historique. Cependant, les filid ne sont plus des druides, et le mot drui en vient même, au moyen-âge, à désigner les sorciers de campagne, incultes et malfaisants. D'autre part, l'écriture latine est utilisée dans les monastères d'Irlande pour fixer la tradition, au prix d'un rattachement quelque peu artificiel à la tradition judéo-chrétienne. Les Gaëls sont désormais, eux aussi, les descendants des bâtisseurs de la Tour de Babel, et de ceux qui ont fui l'oppression pharaonique, tandis que les premiers occupants de l'île ont échappé au Déluge, à l'instar de Noé.


Ainsi, il n'y a eu aucune survivance sociologique du druidisme après la christianisation, que ce soit sur le continent, en Grande-Bretagne ou en Irlande. Toutes les organisations néo-druidiques contemporaines qui revendiqueraient une filiation ininterrompue depuis l'antiquité, mentent ou se mentent à elles-mêmes, y compris lorsqu'elles excipent d'un hypothétique « héritage familial ». Selon les mots de Robert Amadou à propos des « néo-Coens » (article « Martinisme », 1979-1993, Institut Eleazar), « l'absence de preuves est totale et aux prétendants appartient la charge de prouver ».



(à suivre...)

1 commentaire: